Focus sur 40 ans d’observations au réseau décamétrique de Nançay

Figure1 : Emission décamétrique de Jupiter observée à diverses échelles temporelles (et spectrales) par les récepteurs numériques en fonction au RDN
(ligne du haut) Données basse résolution avec le récepteur à balayage de fréquences, dit « Routine », avec de gauche à droite le flux polarisé circulairement à gauche (LH), à droite (RH), et la taux de polarisation circulaire. (ligne du milieu) Même observations avec le récepteur multicanal « Nouvelle Routine », plus sensible. (ligne du bas) Zooms successifs de l’émission polarisée à gauche avec le récepteur « Juno-Nançay ».

 

Modernisé au fil du temps depuis sa mise en service fin 1977, le réseau décamétrique de la station de radioastronomie de Nançay (RDN) se distingue par une continuité des données, uniques au monde en radio basse fréquence, collectées à la faveur de plusieurs décennies d’observations.

 

Un bilan des résultats scientifiques récents, de la base de données et des récepteurs en service au RDN a été publié dans l’article [1], dont est extraite la figure 1.

 

Jupiter : une radiosource complexe révélée par plusieurs décennies d’observation

Figure 2
(à gauche) Distribution de toutes les émissions décamétriques de Jupiter cataloguées par Marquès et al. [2017]. Les couleurs indiquent les différentes composantes radio recensées, connues et nouvelles. Les tracés resp. au-dessus et à droite de la figure donnent les distributions intégrées en fonction de resp. la rotation de Jupiter (CML = longitude jovienne de l’observateur) et la phase orbitale de Io (ΦIo).
(à droite) Cette distribution se sépare en composantes dépendant de la position de Io (en haut) donc gouvernées par l’interaction électrodynamique Io-Jupiter, et composantes indépendantes de cette position (en bas) donc d’origine aurorale.

Dans le cas de Jupiter, dont les émissions radio décamétriques sporadiques, découvertes en 1955, couvrent la gamme spectrale d’environ 1 à 40 MHz, l’analyse des données à haute résolution temporelle permet d’étudier finement le mécanisme d’émission radio, résultant d’une d’une instabilité cyclotron d’électrons énergétiques en mouvement dans le champ magnétique jovien.

La haute résolution temporelle compense l’absence de résolution angulaire et permet littéralement de “suivre” le mouvement des électrons le long des lignes de champ magnétique, de déterminer leur énergie, et d’en tirer des informations sur la manière dont ils ont été accélérés dans la magnétosphère de Jupiter.

L’analyse des données à basse résolution temporelle permet quant-à elle, par des études statistiques ou la comparaison à des simulations, de tirer des informations sur la topologie et l’amplitude du champ magnétique jovien ainsi que sur la dynamique à grande échelle de la magnétosphère de Jupiter incluant son interaction avec le vent solaire et avec les satellites galiléens, en particulier Io.

L’interaction électro-dynamique entre Io et Jupiter a été découverte dès 1964 par l’analyse statistique de l’occurrence des émissions radio de Jupiter en fonction de la phase orbitale de Io, et constitue l’exemple de référence des interactions planète-satellite.

Des “catalogues d’occurrence” de l’émission décamétrique de Jupiter ont été construits et publiés (dans A&A supplement series) depuis le début des opérations du RDN.

La disponibilité de plus de 25 ans de données numériques a motivé en 2016, grâce à la présence (et à la persévérance) d’un doctorant Brésilien (M. Marquès) au pôle plasmas du LESIA, la construction d’une base de données de l’émission radio jovienne couvrant la durée la plus longue à ce jour (6200 émissions relevées dans >8000 sessions d’observation représentant >54000 h d’observation), et contenant des informations beaucoup plus détaillées que par le passé.

La construction et la première analyse de cette base de données ont été publiées dans A&A [2].

Elle a permis de caractériser en détail les propriétés de l’émission décamétrique dépendante et indépendante de Io (probabilité d’occurrence, durée, intensité, polarisation, fréquence maximum), incluant notamment l’identification de nouvelles composantes du rayonnement (Figure 1).

L’analyse de l’occurrence de l’émission en fonction de la phase orbitale des satellites galiléens autres que Io a alors permis de détecter pour la première fois très clairement l’interaction électrodynamique Jupiter-Ganymède (Figure 2) et plus marginalement les interactions Jupiter-Europe et peut-être Jupiter-Amalthée [3]. Des indices de ces interactions avaient été déduits d’observations spatiales. Le bilan énergétique de ces interactions aura des implications sur la recherche d’émissions radio d’exoplanètes (article en préparation).

Figure 3
(à gauche) Probabilité d’observer une émission décamétrique de Jupiter en fonction de la rotation de Jupiter (CML) et de la phase de Io. Les composantes produites par l’interaction Io-Jupiter sont notées par des lettres et encadrées en blanc. Tracée en fonction de la longitude de Io, l’occurrence cumulée dans tous les encadrés blancs se regroupe dans une seule gamme de longitude (environ 150°-300°).
(à droite) Mêmes diagrammes mais cette fois en fonction de la phase orbitale de Ganymède. Les composantes produites par l’interaction Ganymède-Jupiter apparaissent clairement, et se rassemblent également en un seul domaine de longitudes (environ 180°-300°).

Le RDN est aujourd’hui en opération sous la responsabilité scientifique de L. Lamy (LESIA) et la responsabilité technique de L. Denis (USN). Ses données sont exploitées par une équipe d’une petite dizaine de personnes à l’Observatoire de Paris (LESIA) et leurs collaborateurs étrangers.


[1] 1977-2017 : 40 years of decametric observations of Jupiter and the Sun with the Nançay Decameter Array, L. Lamy, P. Zarka, B. Cecconi, L.-K. Klein, S. Masson, L. Denis, A. Coffre, C. Viou, Proceeding to the 8th International Workshop on Planetary, Solar and Heliospheric Radio Emissions (PRE VIII), G. Fischer et al., eds, in press, preprint : https://arxiv.org/abs/1709.03821

[2] Statistical analysis of 26 years of observations of decametric radio emissions from Jupiter, M. S. Marques, P. Zarka, E. Echer, V. B. Ryabov, M. V. Alves, L. Denis and A. Coffre, Astronomy and Astrophysics, 604, A17, 2017 https://www.aanda.org/articles/aa/pdf/forth/aa30025-16.pdf

[3] Radio emission from satellite-Jupiter interactions (especially Ganymede), P. Zarka, M. S. Marques, C. Louis, V. B. Ryabov, L. Lamy, E. Echer, B. Cecconi, Proceeding to the 8th International Workshop on Planetary, Solar and Heliospheric Radio Emissions (PRE VIII), G. Fischer et al., eds, in press , preprint : http://arxiv.org/abs/1709.04386