Emission radio du soleil et radars de contrôle aérien : les observations solaires de Nançay et la météorologie de l’espace

La couronne solaire et la météorologie de l’espace
La couronne du Soleil, couche visible lors d’une éclipse totale, est un milieu dynamique. Sa variabilité, notamment les éruptions et éjections de masse, peut affecter l’environnement spatial de la Terre : par l’ionisation accrue de l’atmosphère terrestre qu’engendre une émission forte en rayons X et UV, ou bien par l’interaction entre du gaz éjecté de la couronne et le champ magnétique de la Terre. Ces phénomènes de météorologie de l’espace peuvent impacter les activités humaines, lorsqu’elles s’appuient sur des équipements dans l’espace ou sur les transmissions par ondes hertziennes dans la haute atmosphère terrestre.

Les sursauts radio solaires
Le Soleil émet des ondes dans tout le spectre électromagnétique, avec un maximum en lumière visible et en infrarouge. L’émission radio du Soleil, aux longueurs d’onde dépassant un centimètre (fréquence 30 GHz), est également variable. Les sursauts d’émission radio peuvent dépasser le niveau ordinaire de plusieurs ordres de grandeur, pendant des durées entre quelques secondes et quelques dizaines de minutes. Ces sursauts ne sont généralement pas considérés comme un problème majeur, puisque les ondes radio ne sont pas assez énergétiques pour ioniser ou chauffer les atomes de l’atmosphère terrestre. On sait toutefois qu’elles peuvent occasionnellement être très intenses et interférer avec les équipements électroniques comme les téléphones portables, les récepteurs GPS ou les radars.

Des interférences avec les radars aériens
C’était apparemment le cas en novembre dernier. Lors de l’Assemblée Générale de l’EGU (European Geosciences Union), en avril à Vienne, le Professeur H. Opgenoorth, de l’Université d’Uppsala, relate que le 4 novembre la plupart des radars de contrôle aérien dans le sud de la Suède a subi des perturbations sévères entre environ 14:20 et 16:00 heures (temps universel). Les vols à l’approche pouvaient se poser, mais les autres furent déviés, et aucun avion n’eut l’autorisation de décoller. Le soir même, les autorités suédoises publièrent un communiqué de presse incriminant des “perturbations magnétiques engendrées par une tempête solaire”. Le Figaro, dans son édition électronique du 5 novembre, publia une note brève sous le titre “Une éruption solaire perturbe les grands aéroports en Suède”, liant ces perturbations au champ magnétique de la Terre.

Les radars perturbés sont des radars “secondaires”, qui communiquent avec un avion en envoyant des signaux radio à la fréquence 1030 MHz. Un signal de retour est émis à 1090 MHz. Les antennes radars au sol scrutent l’horizon en effectuant en quelques secondes une rotation autour d’un axe pratiquement vertical. Le Soleil est dans leur champ de vue quand il est bas (en dessous d’environ 10°) au-dessus de l’horizon. C’était le cas lors des incidents en Suède.

Fig. 1 : Evolution temporelle des émissions en rayons X (courbes noir et rouge du bas) et du spectre en ondes radio du Soleil (niveaux de gris, les tons foncés indiquant l’émission intense ; réseau décamétrique (NDA) et spectrographe ORFEES de la station de radioastronomie de Nançay). L’image insérée montre l’éruption en ondes EUV en tant que structure brillante près du centre du disque solaire (instrument SWAP du satellite ESA Proba2, Obs. Royal de Belgique)

Perturbations de l’environnement spatial de la Terre
Bien qu’il n’y ait pas encore de rapport publiquement accessible sur les causes de cet incident, la météorologie de l’espace a rapidement été mise en cause. Mais était-ce vraiment une perturbation du champ magnétique de la Terre ? Aucun événement particulier ne fut détecté : le champ magnétique était certes perturbé, mais à un niveau courant, avec une intensité qualifiée de “mineure” par la NOAA (National Oceanic and Atmospheric Administration, USA). Ces perturbations étaient de surcroît présentes pendant toute la matinée du 4 Novembre, sans incident. La cause du phénomène doit donc être ailleurs.

Pour l’identifier, regardons l’évolution des rayonnements X et radio du Soleil entre 13 heures et 16 heures (temps universel ; Fig. 1). A partir de 13:20, le rayonnement X, suivi par les satellites GOES, s’intensifie. Le sursaut atteint son maximum vers 13:50, puis l’émission décline. L’image en UV extrême (EUV) situe la région éruptive brillante près du centre du disque solaire. C’est certes un sursaut fort en rayons X, mais de tels sursauts peuvent être dix fois plus importants. On note d’autre part que ce sursaut avait eu lieu 10 à 20 minutes avant la perturbation des radars. Il n’était donc pas non plus la cause de leur dysfonctionnement.

Fig. 2 : L’antenne du spectrographe ORFEES à Nançay (cliché G. Auxepaules). Le spectrographe a été construit et est opéré en coopération avec l’Armée de l’Air, dans le cadre de son centre de météorologie de l’espace FEDOME.

Le sursaut radio : observations du nouveau spectrographe ORFEES de la station de Nançay
Comme le rayonnement X, l’émission radio du Soleil, à des fréquences entre 1000 MHz et 20 MHz, provient de la couronne. L’altitude typique de l’émission 1000 MHz est dans la basse couronne, tandis qu’à 20 MHz la région émettrice se situe à environ un rayon solaire au-dessus de la couche visible. Les ondes radio sont émises par des électrons de haute énergie, bien supérieure à l’énergie thermique des électrons de la couronne qui se situe à 100-200 eV. Cette émission est présentée sous forme d’un spectre dynamique, dans un plan temps-fréquence : les nuances de gris sont d’autant plus foncées que l’émission radio est intense. Les observations proviennent du réseau décamétrique (NDA) et du spectrographe ORFEES (Fig. 2) de la station de radioastronomie de Nançay, qui assurent la surveillance du Soleil 8 heures par jour.

Les rayonnements X et radio sont renforcées entre 13:50 et 16 heures, mais à des heures différentes. Un phénomène remarquable est l’émission radio exceptionnellement intense (tons sombres) entre 800 et 1000 MHz, en particulier entre 14:15 et 15:10, bien après le maximum de l’émission X, mais aux heures des perturbations radar. Le spectrographe ORFEES n’observe pas à des fréquences au-dessus de 1000 MHz. En combinant les observations à Nançay avec celles des radiotélescopes solaires de l’Observatoire Royal de Belgique et du réseau Callisto, coordonné par l’Ecole Polytechnique de Zurich, nous (Christophe Marqué à Bruxelles, Christian Monstein à Zurich et l’auteur) avons pu confirmer que ce sursaut était inhabituellement fort. Les raisons d’une telle intensité restent encore à comprendre, et nous ne sommes aujourd’hui pas en mesure de prévoir un tel événement.

Pour un lien renforcé entre utilisateurs et recherche fondamentale en météorologie de l’espace
Le sursaut radio est à ce jour le candidat le plus sérieux pour expliquer les dysfonctionnements des radars suédois du 4 Novembre 2015. On doit cependant se demander pourquoi les radars étaient bien plus fortement perturbés en Suède que dans d’autres pays, où la visibilité du Soleil était comparable. Les organismes subissant des impacts de la météorologie de l’espace ne divulguent pas des informations sur les dysfonctionnements technologiques. Une amélioration de la communication avec la recherche fondamentale est nécessaire pour mieux comprendre les impacts de la météorologie de l’espace sur la technologie.

Remerciements : Le spectrographe ORFEES de la station de radioastronomie de Nançay a été construit avec le soutien de l’Armée de l’Air dans le cadre du projet FEDOME de météorologie de l’espace. Les travaux présentés ici émanent du projet ORME (Outils radioastronomiques pour la météorologie de l’espace) financé par l’Agence Nationale pour la Recherche (ANR/ASTRID, DGA ; contrat No. ANR-14-ASTR-0027). L’auteur remercie H. Opgenoorth, C. Marqué, C. Monstein pour leur coopération, ainsi que B. Collard, R. Rosso, B. Roturier et J.-Y. Prado pour de nombreuses discussions éclairantes. Ce texte a fait l’objet d’un article dans la revue Microscoop du CNRS. L’auteur remercie F. Royer pour sa relecture.

Karl-Ludwig Klein,
Observatoire de Paris et CNRS – Station de radioastronomie de Nançay, LESIA Meudon