Réseaux de pulsars millisecondes et ondes gravitationnelles

Si les interféromètres au sol (LIGO, Virgo) permettent de détecter et de caractériser des ondes gravitationnelles de l’ordre de quelques Hertz (Hz), la chronométrie d’un réseau de pulsars ultra-stables fonctionne comme un détecteur galactique géant pour observer les ondes gravitationnelles dans le domaine du nanoHertz (1 nHz, soit 1 milliardième de Hz). Depuis 2006, le grand radiotélescope décimétrique de Nançay (NRT) dédie plus de 2000 heures par an à ce type d’observations très particulières, au sein d’une large collaboration internationale. Ces données représentent près de 25 % de la production mondiale.
La moisson des premières dix années a été publiée début 2016, avec l’ensemble des mesures européennes, et est décrite dans deux publications : Desvignes et al (2016) et Caballero et al (2016). La collaboration européenne (EPTA) a également publié en 2015 une première série de résultats d’analyse : la mesure de l’amplitude maximale d’un fond isotrope d’ondes gravitationnelles produit par la population de trous noirs binaires supermassifs (entre 100 millions et 10 milliards de masses solaires) issus de la formation hiérarchique des galaxies (Lentati et al 2015), la caractérisation d’un possible fond d’ondes anisotrope (Taylor et al 2015), et la limite supérieure de détection d’une source unique continue et son interprétation en termes astrophysiques (Babak et al 2016).
Au cours de la même période, des résultats équivalents ont été produits par les groupes australien (PPTA) et nord-américain (NANOGrav). La communauté mondiale s’est par ailleurs regroupée en un ensemble unique, l’International Pulsar Timing Array, produisant la première base de données de chronométrie à l’échelle planétaire, et totalisant plus de 70 000 mesures sur 49 pulsars millisecondes stables (Verbiest et al 2016 ; Lentati et al 2016). Ces données homogénéisées servent de terrain pour de nouvelles analyses, actuellement en cours.

Carte de sensibilité du réseau de pulsar EPTA sur l’ensemble du ciel (projection en ascension droite et déclinaison) en logarithme de l’amplitude d’une onde gravitationnelle émise par un trou noir binaire supermassif. Les modèles actuels de population de trous noir prédisent des amplitudes entre 10-16 et 10-14. (Référence : Babak et al 2015). Sont indiqués les 6 pulsars au chronométrage le plus précis, ainsi que les directions des superamas de galaxies Virgo et Coma.

Pour la première fois les limites obtenues ( 10 -15 à la fréquence 30 nHz) guident les théoriciens vers de nouveaux et meilleurs scenarii d’émission gravitationnelle. Le constat actuel est que la signature gravitationnelle des trous noirs binaires en orbite circulaire semble absente à très basse fréquence, là où on l’attendait le plus. Ces résultats impliquent que l’évolution de ces systèmes est nécessairement fortement influencée par l’excentricité des orbites et par des interactions avec leur environnement (par exemple avec les composantes stellaires ou gazeuses du disque d’accrétion), des phénomènes que l’on négligeait jusqu’à présent dans les modèles.
Le nouveau paradigme est que les chances de détecter l’émission gravitationnelle des trous noirs binaires sont probablement plus grandes à plus hautes fréquences (10-8 – 10-6 Hz), du fait d’une plus rapide évolution des systèmes. Par ailleurs, une source dominante unique, ou un ensemble discret de sources, serait plus facilement détectable dans ce domaine de fréquence. Ainsi, les nouveaux développements s’orientent vers des recherches ciblées en direction de sources potentielles, telles certaines galaxies à noyaux actifs, dont la variabilité à long terme évoque la possible présence d’un trou noir binaire en leur sein. Une autre piste est la recherche de sursauts d’ondes gravitationnelles, à l’instar de la détection de la fusion d’un couple de trous noirs par l’expérience LIGO-Virgo et dont la découverte a prouvé sans équivoque l’existence de tels évènements.

Résidus de temps d’arrivées du pulsar PSRJ1909-3744 obtenus avec le radiotélescope décimétrique de Nançay. Chaque point représente l’écart temporel entre une impulsion observée et une impulsion prédite par le modèle du pulsar, pour de multiples dates d’observation entre 2005 et 2014. La précision de datation et la stabilité du pulsar sont meilleures que 100 nanosecondes (1 dix millionième de seconde). (Copyright : I.Cognard, CNRS)

Auteurs :
I.Cognard1,2, L.Guillemot1,2, A.Petiteau4, G.Theureau1,2,3

1- Laboratoire de physique et chimie de l’environnement et de l’espace, Orléans
2- Station de radioastronomie, Nançay
3- Laboratoire univers et théories, Meudon
4- Laboratoire astroparticules et cosmologie, Paris

Contact : Gilles Theureau

Références :
Lentati et al 2015, MNRAS 453, 2576
Taylor et al 2015, Physical Review Letters, Volume 115, 1101
Babak et al 2015, MNRAS 465, 1665
Caballero et al 2016, MNRAS 457, 4421
Desvignes et al 2016, MNRAS 458, 3341
Lentati et al 2016, MNRAS 458, 2161
Verbiest et al 2016, MNRAS 458, 1267