Mesure des masses de planètes et d’astéroïdes par la chronométrie des pulsars

Figure : Télescopes du réseau IPTA. Dans le sens des aiguilles d’une montre à partir du coin supérieur gauche : Effelsberg/Allemagne, Nançay/France, Arecibo/Porto Rico, Parkes/Australie, Lovell Telescope/Royaume-Uni, Westerbork/Pays-Bas et GBT/États-Unis. Crédits : MPIfR, Nançay, Arecibo, Parkes, Jodrell Bank, ASTRON, Green Bank (photographies des radiotélescopes)

A l’aide des dernières données de chronométrie de pulsars publiées par l’International Pulsar Timing Array (IPTA), parmi lesquelles figurent en grand nombre les données du Grand Radiotélescope Décimétrique de Nançay, des chercheurs de l’Institut Max Planck de Radioastronomie de Bonn (Allemagne) sont parvenus à mesurer les masses de planètes, lunes et astéroïdes du système solaire. En particulier, l’analyse a permis de montrer que la masse de Cérès, objet le plus massif de la ceinture d’astéroïde située entre Mars et Jupiter, est de 4,7×10-10 fois la masse du Soleil, soit seulement 1,3% de la masse de la Lune. La précision de la mesure n’est qu’un ordre de grandeur inférieure à celle des meilleures estimations actuelles. L’étude présente des mesures comparables pour quatre autres astéroïdes.

Les corps du système solaire peuvent être « pesés » à partir de corrections que les astronomes apportent aux signaux des pulsars, de petites étoiles en rotation rapide qui émettent un faisceau de rayonnement radio balayant l’espace à l’image d’un phare cosmique, dont on reçoit des « flashes » périodiques. Cette technique, déjà utilisée pour une étude publiée en 2010, repose sur la chronométrie précise d’un ensemble de pulsars milliseconde. Les astronomes observent les « flashes » d’émission périodique des pulsars milliseconde, à l’aide de très grands radiotélescopes tels que celui de Nançay, nécessaires pour détecter leurs faibles signaux. Contrairement aux phares, cependant, ces objets célestes tournent sur eux-mêmes à de très grandes vitesses, avec des périodes de rotation allant jusqu’à quelques millisecondes seulement, et ces pulsars milliseconde sont les rotateurs les plus stables connus dans l’Univers. A partir de modèles sophistiqués décrivant leur rotation en fonction du temps, il est possible de prédire le temps d’arrivée des impulsions radio des pulsars milliseconde, à une précision de quelques centaines de nanosecondes sur plusieurs décennies.

Le mouvement de la Terre autour du Soleil complique l’utilisation directe des temps d’arrivée des impulsions enregistrées au télescope. Les astronomes contournent ce problème en « corrigeant » les temps d’arrivée mesurés, pour les transférer à un cadre de référence commun, à savoir le centre de masse de l’ensemble du système solaire, appelé « barycentre du système solaire ». Cette correction nécessite l’utilisation « d’éphémérides planétaires » qui décrivent les orbites des planètes, lunes et astéroïdes connus du système solaire. Si ces éphémérides utilisent des masses erronées pour ces astres, il en résultera un décalage dans l’emplacement du barycentre du système solaire et, par conséquent, des retards et des avances périodiques dans les temps d’arrivée prévus des impulsions des pulsars. Ainsi, il devient possible à travers la chronométrie des pulsars, de « peser » les astres en mesurant et en corrigeant ces décalages périodiques.

Tandis que des sondes spatiales comme Dawn (NASA), qui fournit des mesures in-situ des champs de gravité autour de Cérès et de l’astéroïde Vesta, vont permettre d’améliorer les éphémérides planétaires, les résultats obtenus par la chronométrie des pulsars vont également s’affiner avec le temps, à la fois grâce à la précision accrue des données que les futurs radiotélescopes vont enregistrer, et grâce à l’accroissement continu de l’intervalle de temps couvert par les données. L’ensemble de données actuel s’étend sur une vingtaine d’années, et est le fruit du travail minutieux et ininterrompu de nombreux scientifiques et ingénieurs sur plusieurs décennies.

L’étude va au-delà de la mesure de la masse des planètes et des astéroïdes connus. En appliquant une méthode publiée plus tôt dans un article de Yanjun Guo, la collaboration internationale a recherché des objets inconnus en orbite autour du Soleil qui ne seraient pas modélisés par les éphémérides planétaires, et a placé des limites supérieures sur la masse d’objets de ce type. Bien que cette étude pilote n’a considéré que des objets inconnus sur des orbites excentriques et non perturbées, elle montre que la chronométrie des pulsars permet de poser des contraintes fortes sur les paramètres d’objets hypothétiques, allant de la « planète Neuf » à la matière noire dans le voisinage du système solaire.

Ref : R. N. Caballero et al. : Studying the solar system with the International Pulsar Timing Array, 2018, Monthly Notices of the Royal Astronomical Society (DOI : 10.1093/mnras/sty2632)

Lien : https://academic.oup.com/mnras/article/481/4/5501/5113478