L’étude des comètes en ondes radio

Cet article paru en novembre 2016 fait un tour d’horizon des observations de comètes dans le domaine des ondes radio et présente des résultats récents obtenus notamment avec le radiotélescope décimétrique de Nançay.

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Les comètes sont en bonne partie constituées de glace, une glace incluant des éléments préservés depuis quelques 4.6 milliards d’années, une époque où le Système solaire n’était qu’une nébuleuse primitive en cours de formation. Obtenir des renseignements sur la composition de cette glace est donc essentiel pour la compréhension de la naissance de ce Système.

Cette détection dans les ondes radio est cependant difficile pour plusieurs raisons. Tout d’abord il s’agit d’objets assez petits (quelques km) et dont l’émission est très variable. Il est donc difficile donc d’en faire une image détaillée ou de confirmer une détection avec certitude. Les émissions radio à détecter proviennent de l’émission naturelle de certaines molécules, comme par exemple le radical OH qui émet à une fréquence bien définie correspondant à une longueur d’onde de 18 cm. Ce radical provient de la dissociation, par le rayonnement ultraviolet du Soleil, de l’eau issue des glaces cométaires. Son émission radio est tellement faible, cependant, que sa détection nécessite des télescopes très sensibles, et des comètes à forte émission, ce qui est plutôt rare. C’est grâce à cette émission qu’a été faite la première détection d’une comète dans le domaine radio en 1973. Le radiotélescope décimétrique de Nançay effectua cette détection à 18cm sur la comète Kohoutek dans le cadre d’une campagne d’observation mondiale organisée par la NASA. Cette détection marque le début d’un programme de recherche qui se poursuit toujours de nos jours et qui a conduit à l’observation de plus de 120 comètes à Nançay.

Le passage de la comète Halley en 1986 a donné lieu à de nombreuses observations et fut la cible de pas moins de 5 missions spatiales. Le radiotélescope décimétrique de Nançay observa le radical OH dans cette comète sur une période d’un an et demi en même temps que de nombreux autres télescopes, notamment le Very Large Array (VLA). Une autre émission radio, cette fois millimétrique, fut également détectée au radiotélescope de 30 m de l’IRAM qui venait d’être mis en fonction à Pico Veleta (Espagne) : elle correspondait à une autre molécule, le cyanure d’hydrogène (HCN). Cela marqua les débuts de la radioastronomie dans l’étude des molécules cométaires, avec peu de temps après une détection du méthanol (CH3OH) et du sulfure d’hydrogène (H2S) dans les comètes Austin et Levy en 1990, toujours à l’IRAM.

Le passage de la comète géante Hale-Bopp fut un autre évènement important. Elle fut détectée un an et huit mois avant son passage au périhélie (point de sa trajectoire le plus proche du Soleil) le premier avril 1997,permettant l’organisation d’une campagne d’observations soutenue. Elle fut détectée a Nançay a une distance record de 4.6 unités astronomiques (ou ua, avec 1 ua = la distance Terre-Soleil) du Soleil. A ces distances, la glace de la comète commence à être assez chauffée par le rayonnement solaire pour qu’elle puisse se sublimer : elle passe directement de l’état solide à l’état gazeux. Elle entraîne alors les poussières du noyau, formant ce panache parfois visibles sur les images de comètes. La comète se retrouve donc habillée d’une atmosphère qu’on appelle la coma. Grâce à l’émission de OH, on peut notamment déduire le taux d’émission de vapeur d’eau par la comète, dans le cas de Hale-Bopp un maximum de 300 tonnes d’eau par seconde fut estimé au plus proche du Soleil, soit environ 10 fois plus que ce qui avait été mesuré sur la comète de Halley. Ces observations (OH et autres molécules) ont notamment permis de suivre l’évolution de cette production de vapeur d’eau en fonction de la distance au Soleil, et serviront par la suite de mesures de référence. La détection radio permis d’identifier
environ les deux tiers des molécules présentes dans le gaz émis par la comète, et pour certaines d’entre-elles la mesure de rapports isotopiques (soit la proportion de certains types de noyaux d’atomes par rapport à d’autres). Elle a également permis, grâce à une très bonne résolution en fréquence, de mesurer la vitesse d’expansion de l’atmosphère de la comète. En effet, grâce à l’effet Doppler, qui déplace en fréquence l’émission des raies moléculaires, de cette atmosphère en mouvement, il est possible d’en déduire une vitesse. De plus, la mesure des émissions de plusieurs raies différentes d’une molécule comme le méthanol a permis de déduire la température de la coma. Ces paramètres furent tous mesurés en fonction de la distance au Soleil, ce qui confirma la validité d’une modélisation thermodynamique (domaine étudiant notamment l’expansion des gaz sous l’effet de la température) de la coma.

Les observations plus récentes bénéficient de plus grandes sensibilités de détection, ainsi que d’une couverture plus large en fréquence. Ces deux atouts permettent la détection simultanée d’un grand nombre de molécules et augmente la probabilité d’une détection “coup de chance”. Ils ont permis ainsi la détection à l’IRAM de nouvelles molécules, comme l’éthanol (C2H5OH) et une forme simple de sucre, le glycolaldéhyde (CH2OHCHO) en janvier 2015 Cela ouvre également des possibilité intéressantes dans l’étude du continuum spectral. Par opposition aux raies d’émissions moléculaires à une fréquence précise et dans une largeur spectrale très
fine, ce continuum est une émission couvrant une large bande de fréquence, elle est directement liée à une émission thermique par le nuage de poussières entourant la comète. Cette émission est significative quand la longueur d’onde d’observation est plus petite que la taille typique de ces poussières, on peut donc déduire des observations millimétriques comme celles faites à l’IRAM, la présence de grains de poussières d’une taille caractéristique voisine du millimètre, ce qui vient en complément des observations en infrarouge et en visible indiquant également la présence de poussières beaucoup plus petites. Grâce aux techniques d’interférométrie (plusieurs radiotélescopes observant simultanément et additionnant leurs signaux) utilisées à l’IRAM et avec ALMA, on peut également cartographier la présence de molécules dans la coma, ce qui permet notamment de différencier les molécules provenant directement du noyau de la comète ou injectées progressivement dans la coma via des réactions chimiques. La présence d’asymétrie dans ces cartographies laissent penser qu’il existe des régions particulièrement actives sur la surface du noyau.

Les observations avec des télescopes spatiaux nous donnent accès aux ondes submillimétriques trop atténuées par l’atmosphère pour être détectées depuis la surface de la Terre. C’est dans ce domaine submillimétrique que l’on peut trouver des émissions de la molécule d’eau, qui si elle constitue le principal composant des comètes n’en reste pas moins difficile à observer. La raie de l’eau à 557 GHz (longueur d’onde 0.5 mm) fut finalement détectée par 2 satellites dédiés, SWAS et ODIN. L’étape suivante fut l’utilisation du télescope spatial Herschel, qui bénéficiait d’une sensibilité bien supérieure grâce à son miroir de 3 m et son instrumentation à très basse température. De 2009 à 2013, il permit la détection de plusieurs raies dans une douzaine de comètes, incluant des objets faibles et distants.

Enfin, l’exploration spatiale directe des comètes a été dominée en 2014-2016 par la mission Rosetta, lancée par l’ESA en 2004. Parmi la douzaine d’instruments à bord, l’un d’entre eux appelé MIRO est un petit radiotélescope de 30 cm de diamètre. En évoluant à quelques dizaines de kilomètres de la comète, il fut suffisant pour l’étude de certaines raies de l’eau et d’autres molécules. Il a pu en outre observer le continuum afin d’étudier l’émission thermique du noyau de la comète.

Dans le futur, l’exploration spatiale des comètes restera probablement limitée pendant longtemps à un petit nombre de cibles, étant donné les coûts importants et la complexité de ces missions. Pour des études plus significatives demandant de faire des statistiques sur un grand nombre d’observations, on utilisera donc encore les télescopes terrestres dans des campagnes systématiques. On sait déjà que les émissions détectées peuvent être très variable d’une comète à l’autre, ce qui indique probablement des compositions chimiques différentes. Il reste à comprendre comment cette diversité s’inscrit dans les processus de formation et d’évolution de ces objets. On pourra également compléter les observations en rapport avec l’origine de l’eau sur Terre. On peut en effet tester l’idée que des comètes auraient amené tout ou une partie de l’eau terrestre en comparant les rapports isotopiques de l’eau détectée sur les comètes à ceux de l’eau sur Terre. Jusqu’ici les mesures indiquent un rapport D/H (H pour hydrogène et D pour deutérium, qui est un isotope de l’hydrogène) significativement plus grand dans les comètes observées que sur Terre, ce qui semble disqualifier l’hypothèse d’une eau provenant uniquement des comètes. Des mesures isotopiques complémentaires permettront de préciser l’origine de cette eau ainsi que de plusieurs matériaux constituant les comètes.

Comets at radio wavelengths.
J. Crovisier, D. Bockelée-Morvan, P. Colom, N. Biver.
2016, C. R. Physique, 17, 985-994.