LOFAR, le très grand réseau basses fréquences
Bien que la Radioastronomie soit née dans les années 1930s des expériences de Jansky vers 20 MHz (λ = 15 m), elle s’est développée aux plus hautes fréquences ( 1 GHz et plus, λ 20 cm) où la résolution angulaire est meilleure, le ciel plus noir, les parasites moins nombreux et moins intenses, et l’ionosphère et les plasmas interplanétaire et interstellaire moins gênants qu’aux basses fréquences (BF). La radioastronomie BF (typiquement <300 MHz) est donc limitée à des instruments de surface modeste (<10 000 m2), à l’exception notable du GMRT en Inde ( 50 000 m2) et surtout du réseau UTR-2 en Ukraine ( 150 000 m2), et s’est habituellement concentrée sur des sources intenses (Jupiter, le Soleil et quelques pulsars). La gamme des grandes longueurs d’ondes radio reste donc un domaine largement inexploré en astrophysique. Les développements techniques BF ont principalement concerné la spectroscopie large bande à hautes résolution temporelle et spectrale et grande dynamique, et la lutte contre les parasites radio (RFI pour Radio Frequency Interference).
Vers le milieu des années 1990, de nouvelles méthodes ont été mises en œuvre à 74 MHz au VLA (Very Large Array, Nouveau-Mexique) pour corriger les perturbations de phase ionosphériques, ouvrant des perspectives nouvelles en imagerie basses fréquences. Ces développements, les progrès dans le domaine des récepteurs, et les puissances de calcul disponibles en forte croisance (permettant d’envisager une lutte logicielle contre les parasites) ont fait germer l’idée d’un très grand réseau basses fréquences dans plusieurs pays, et notamment aux USA et aux Pays-Bas, ainsi qu’en France. Les projets américains et hollandais ont fusionné pour devenir le projet LOFAR, pour LOw Frequency ARray (réseau basses fréquences). En 2004, suite à l’obtention par les radioastronomes Hollandais de financements nationaux et régionaux, académiques et industriels, à la condition expresse de construire LOFAR en Hollande, le consortium Hollando-Américain s’est dissout, les américains relançant indépendemment les projets LWA (Long Wavelength Aray) aux fréquences inférieures à la bande FM, et MWA (Murchison Widefield Array) aux fréquences plus élevées. Devenu purement Hollandais, LOFAR s’est ouvert à partir de 2006-2007 à des partenariats Européens, et la communauté Française s’y est activement engagée.
LOFAR est un interféromètre, c’est-à-dire un ensemble de grandes antennes radio, dont la combinaison des signaux reçus permet de reconstituer des images du ciel radio basse fréquence. Une de ses originalités vient du fait que chacune de ces grandes antennes – appelée « station » - est elle même un ensemble d’antennes élémentaires combinées pour former l’équivalent d’une grande antenne unique. Une station internationale LOFAR est constituée de :
un ensemble de 96 antennes BF, couvrant la gamme 30-80 MHz (avec possibilité d’observer jusqu’à 10 MHz mais avec une sensibilité réduite), formée chacune de 2 dipôles « en V inversé » croisés, de manière à être sensibles à 2 polarisations linéaires orthogonales des ondes reçues (sachant que toute onde peut se décomposer sur la base de 2 polarisations linéaires orthogonales) ;
un ensemble de 1536 antennes haute fréquence (HF) couvrant la gamme 110-250 MHz, soit 96 groupes de 16 dipôles croisés plus petits que les précédents ;
un ensemble de 96 paires de récepteurs radio numériques, échantillonnant le signal des antennes à 200 MHz (200 millions d’échantillons / seconde) puis le combinant pour former un ou plusieurs faisceaux simultanés sur le ciel ;
enfin, une liaison internet par fibre optique de débit > 3 Gbits / seconde, destinée à transporter le signal de chaque station vers Gronigen (Pays-Bas), où se trouve l’ordinateur central qui va combiner les signaux de toutes les stations.
Après recombinaison par le super-ordinateur central, les données d’observations sont entreposées sur les disques durs d’une « grappe » de calcul de l’institut ASTRON (Pays-Bas), où seront construites les images et autres produits finaux d’observation, et où seront effectuées les premières analyses.
LOFAR se déploie à l’échelle du continent Européen. Il est formé d’une cinquantaine de "stations" : 20 regroupées en un cœur dense de quelques kilomètres de diamètre, 20 réparties aux Pays-Bas autour du coeur jusqu’à une distance d’environ 100 km, et 8 stations « distantes » dans les pays limitrophes, dont une à Nançay, à 700 km du coeur. Ces dernières sont cruciales pour obtenir des images d’une grande finesse (résolution). Au total, ce sont près de 50 000 antennes (dipôles croisés) qui sont déployées pour former une surface collectrice plus de 20 fois supérieure à celle des instruments BF de génération précédente comme le Réseau Décamétrique de Nançay. Cette surface, couplée à des algorithmes de suppression « au vol » des parasites radio, confère à LOFAR une sensibilité 10 à 100 fois supérieure à celle des instruments existants, tandis que sa répartition sur des échelles >1000 km fait que les images formées par LOFAR seront 10 à 100 fois plus sensibles et précises que ce que l’on a fait jusqu’ici dans la gamme de fréquences 30-250 MHz. De plus, cette finesse d’image sera obtenue dans un grand champ de vue instantané (plusieurs degrés), avec accès à la polarisation complète des ondes reçues.
Ces performances instrumentales permettent aux radioastronomes d’aborder avec LOFAR des sujets aussi divers que la formation des galaxies, amas de galaxies et grandes structures de l’Univers, le champ magnétique dans notre propre galaxie aussi bien que dans des galaxies lointaines, la cartographie profonde du ciel radio, l’étude du Soleil, la détection des rayons cosmiques de très haute énergie et celle de milliers de sources transitoires et rapides comme les pulsars, les explosions d’étoiles, les trous noirs ... et peut-être même les exoplanètes. Les chercheurs qui préparent LOFAR se sont ainsi répartis en groupes thématiques corespondant aux objectifs ci-dessus. Une vingtaine de chercheurs français participent aux travaux de ces groupes thématiques.
L’un des obectifs majeurs de LOFAR concerne la cosmologie : il s’agit de la détection du rayonnement émis à « l ’époque de la réionisation » de l’Univers (EoR en anglais). Lors de l’émission du rayonnement cosmologique à 3 °K, l’essentiel de la matière de l’Univers s’est « recombinée » sous forme d’atomes d’hydrogène neutre. Un milliard d’années plus tard, les premiers objets lumineux se forment et leur rayonnement commence à « ré-ioniser » la matière. Ces objets sont-ils des étoiles, des galaxies, des amas ? C’est la question à laquelle LOFAR tentera de répondre en observant le rayonnement de l’hydrogène neutre (non encore réionisé) à des époques successives entre 1 et quelques milliards d’années (ce rayonnement est émis à 1420 MHz aujourd’hui, et à des fréquences de plus en plus basses à mesure que l’on s’enfonce dans le passé).
Dans le domaine de la planétologie, les principaux objectifs sont :
L’imagerie rapide des sources radio dans la magnétosphère de Jupiter, liées aux aurores, à l’interaction des satellites galiléens (Io, principalement) avec le champ magnétique de Jupiter, et aux ceintures de radiations. Les premières n’ont jamais été imagées. Les observations de LOFAR aborderont la cartographie du champ magnétique, la physique détaillée des processus d’interaction Io-Jupiter, celle des d’émissions radio, etc.
L’étude des éclairs d’orages dans le système solaire, et à travers eux de la physique atmosphérique : on ré-observera les éclairs de Saturne et d’Uranus (découverts par les sondes Voyager), et on cherchera à confirmer (ou non) l’existence d’éclairs – très controversée – sur Vénus, ainsi que dans les tempêtes de poussière de Mars.
Enfin et surtout, on tentera de détecter pour la première fois - puis d’étudier - l’émission radio des exoplanètes, porteuse d’informations uniques sur le champ magnétique, la rotation et l’inclinaison de ces objets, les interactions électromagnétiques étoile-planète, et plus largement susceptible d’élargir considérablement le cadre de la physique magnétosphérique comparative (les magnétosphères des planètes du système solaire sont toutes très différentes les unes des autres). Des études théoriques prédisent que les « Jupiters chauds », orbitant très près de leur étoile, pourraient être des émetteurs radio assez puissants pour être détectables avec LOFAR.
Le projet LOFAR est en 2010 en phase de construction. Les ¾ des stations sont déjà en place, et les observations ont démarré depuis quelques mois. Leur objectif prioritaire actuel est le « commissionning » (en français la « recette ») de l’instrument, c’est-à-dire vérification, tests opérationnels, mise en place des procédures d’observation et d’analyse des données, etc. La très grande complexité de LOFAR impose que ce commissionning se poursuive durant 2011, ce qui n’interdit bien sûr pas de premières découvertes scientifiques. Ensuite, LOFAR entrera dans sa phase d’exploitation intensive, que nous espérons riche de résultats.
Au-delà de son intérêt scientifique intrinsèque (la première exploration profonde des basses fréquences radio) le projet LOFAR est un « précurseur technologique » : le flot de données produites est colossal (3 Gigabits/seconde/station, débités en continu vers le calculateur central). Il est donc nécessaire de les analyser en continu ... et de les jeter immédiatement pour ne conserver que les produits des analyses (images, cartes, ...), dont l’accumulation se chiffrera néanmois rapidement en centaines ou milliers de Téra-octets. L’installation et la gestion de dizaines de milliers d’antennes, leur opération, le traitement de flux colossaux, sont autant d’expériences indispensables à l’avénement du méga-projet SKA (Square Kilometer Array – Réseau d’1 km2), qui sera à la radioastronomie des longueurs d’ondes décimétrique-centimétriques ce que LOFAR est à la radioastronomie métrique-décamétrique.
La participation française à LOFAR (station LOFAR de Nançay, exploitation activités scientifiques et de management) a été soutenue principalement par L’Observatoire de Paris (et à travers lui par la station de Radioastronomie de Nançay) et l’INSU. L’implantation de LOFAR à Nançay renforce la richesse et l’impact des installations de radioastronomie basses fréquences françaises qui y sont rassemblées. Une première conséquence de la collaboration des chercheurs de Meudon, Orléans (LPC2E) et d’autres laboratoires avec les ingénieurs de Nançay est le démarrage d’une étude d’extension de la partie basses fréquences de la station LOFAR de Nançay (avec réalisation d’un prototype) : il s’agit du projet de « Super-Station » de LOFAR (LSS en anglais).
Dernière modification le 15 mai 2014